Mathilde Aubinaud – Contributrice, Forbes France
L’observation animale serait-elle le secret pour mieux comprendre les relations humaines et apprendre à se reconnecter après le COVID ? Le dernier livre du Dr Caitlin O’Connell, « Wild Rituals », publié le 12 janvier dernier, nous invite à nous réengager dans un monde covidien. Retour pour Forbes France avec Caitlin O’Connell, experte mondiale des éléphants et scientifique de la Harvard Medical School, sur son dernier livre.
Ce que les animaux peuvent nous apprendre sur la vie en communauté et nous-mêmes
«J’ai écrit le livre ‘Wild Rituals’ pour nous reconnecter avec le monde naturel et nous rappeler à quel point les rituels sont importants. Il est ironique que la pandémie se soit produite au milieu de l’écriture de ce livre, car elle met d’autant plus en évidence la nature cruciale de ces rituels », commence Caitlin.
Couverture de Wild Rituals, sorti le 12 janvier dernier © Caitlin O’Connell
Les rituels semblent en effet parfois occuper une place plus importante pour les autres animaux sociaux que pour les humains. Caitlin O’Connell, experte mondiale des éléphants, montre dans son ouvrage que nous pouvons apprendre beaucoup de la vie animale. A titre d’exemple, des animaux tels que les éléphants sont ravis de se voir tous les jours et d’effectuer des rituels de salutation quotidienne nombreux et diversifiés, comprenant un contact visuel, tactile ou/et auditif. En comparaison, une simple salutation quotidienne tel que « bonjour » ne comprend aucun contact, aucune connexion réelle, ce qui peut conduire potentiellement à un sentiment de déconnexion et d’isolement.
Caitlin O’Connell explore ainsi des solutions originales : les animaux comme les éléphants se saluent tout en stimulant la production d’hormones du plaisir telles l’ocytocine, la sérotonine et la dopamine. Et si le comportement des éléphants pouvait nous aider à combattre la dépression, à nous sentir plus connectés et à améliorer la capacité de concentration d’un humain ? La scientifique de Harvard explique pourquoi les rituels quotidiens qui s’imposent dans les groupes d’éléphants pourraient nous enseigner une leçon importante. Alors que les confinements partiels à travers l’Europe se poursuivent, l’Organisation mondiale de la santé prévoit une augmentation des niveaux de dépression et de solitude. Par conséquent, la pandémie peut nous inviter à réévaluer l’importance de la salutation, comme le font les éléphants, même si cet effort doit s’effectuer actuellement sur Zoom.
“Les humains n’ont pas le monopole de l’art de la cour“, souligne Caitlin dans son livre. Les oiseaux se charment. Les flamants roses, par exemple, ont un rituel de courtoisie incroyable où ils participent à de véritables danses. Les oiseaux s’engagent dans un certain nombre d’actions synchronisées, semblables à des valses, qui mènent à la constitution des couples. O’Connell parle de ce beau rituel qui rappelle les rencontres entre humains. Ce n’est pas un acte superficiel, contrairement à certaines habitudes de courtoisie humaines, mais quelque chose qui sort de l’ordinaire. Si la danse n’est peut-être pas le moyen le plus efficace pour les humains de trouver un partenaire, c’est un excellent moyen de garder la relation vivante. Fait intéressant, certains oiseaux sont fidèles toute leur vie et continuent de se courtiser perpétuellement. Y a-t-il une leçon à tirer ici pour les humains afin de maintenir une relation durable ?
Le baiser d’éléphant
Le baiser des éléphants, ©Caitlin O’Connell
Cependant, il existe des rituels humains qui partagent des similitudes comme la salutation bouche/trompe des éléphants. Explorée dans son œuvre «Elephant Don », qui a été nommée d’après ses propres observations et sa connaissance de la mafia dans la société humaine, la salutation de la trompe à la bouche équivaut à embrasser la bague. Un mouvement très semblable à celui du film le Parrain de Francis Ford Coppola. Le chef d’éléphant est également traité d’une manière similaire à Vito Corleone. Cette exigence de respect et de déférence manifestée par ses subordonnés est la façon dont l’éléphant Don maintient son pouvoir, à la manière d’un chef de gang.
Mais les éléphants ont des rituels pour exprimer d’autres sentiments que la menace ou la domination. Les éléphants continuent de montrer leurs liens forts à travers leurs rituels et leurs contacts. « Le rituel de la trompe à la bouche s’apparente aussi à une poignée de main et marque le respect », mais une différence essentielle est qu’une poignée de main n’inclut pas le même niveau d’intimité. L’action risquée de placer la pointe sensible de la trompe dans la bouche démontre une confiance, non observée dans une poignée de main. Très similaire à un baiser où un être humain met la partie du corps la plus sensible, la langue, à l’intérieur de la mâchoire qui possède des muscles très puissants.
Ce que nous pouvons apprendre des éléphants
Interrogée si les animaux étaient plus violents que les humains, Caitlin, qui a passé sa vie à étudier les animaux, a répondu : «Les humains sont plus violents parce qu’ils devraient avoir la capacité d’utiliser leur intellect pour résoudre des problèmes de manière non violente. Nous avons une incroyable capacité à être plus rationnels et à nous élever au-dessus de nos sentiments instinctifs. Nous aimerions penser que les humains seraient alors moins guerriers, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Ce que nous pouvons faire, c’est nous rappeler lorsque nous voyons d’autres animaux s’engager dans la guerre, que nous devrions être en mesure d’utiliser notre compétence intellectuelle pour trouver des solutions non violentes. “
O’Connell aborde aussi dans Wild Rituals un autre point, rappelant aux lecteurs que nos gènes ne sont pas si uniques – 61% de nos gènes sont partagés avec les mouches de fruits, 85% avec la souris, et, avec notre parent le plus proche, le chimpanzé, nous partageons 95% de nos gènes. Étonnamment, les humains partageraient même 50% de leurs gènes avec les bananes. C’est un bon rappel de notre lien biologique avec le monde naturel. “Nous avons tendance à oublier que nous restons des animaux.” explique la zoologue. Dans la citation d’Aristote définissant l’homme comme l’animal politique, « Zoon Politikon », le politique est l’adjectif qui qualifie l’être humain d’animal. A méditer donc.
Dr Caitlin O’Connell’s – une vie extraordinaire menée avec passion
La passion du Dr O’Connell pour l’étude de la vie animale a commencé avec l’étude des insectes – appelée entomologie. Grâce à ses études, elle a pu comprendre que les éléphants communiquaient également par des vibrations en tapant des pieds sur le sol comme le font de nombreux insectes sur des plantes. O’Connell va plus loin que la simple étude des pachydermes. Elle s’engage vraiment et pleinement dans leur défense. Fruit de cette passion, O’Connell et son mari, le Dr Timothy Rodwell, ont lancé une organisation à but non lucratif, «Utopia Scientific». « L’idée d’une telle initiative est arrivée après avoir travaillé avec le gouvernement namibien sur l’écologie, les mouvements et les comportements des éléphants pendant 3 ans ». Grâce à cette initiative incroyable, le couple a surveillé les interactions sociales de plus de 200 éléphants et d’environ 15 groupes familiaux différents. C’est après leur retour en Amérique qu’ils ont décidé d’aider à la conservation des éléphants en Namibie. Les dons à l’organisation peuvent être faits ici. Une association d’autant plus vitale que le braconnage et la perte d’habitat sont un problème crucial pour la survie des éléphants. Au cours des trois dernières générations, la population d’éléphants d’Asie a diminué de 50% sans qu’aucune amélioration n’ait encore été enregistrée. Les éléphants d’Afrique sont tout autant en difficulté.
Alors que les éléphants occupent une place importante dans la vie de O’Connell, la France a été le premier amour de la zoologue américaine. « Je pense qu’il est important de s’inspirer des Français et leur ‘joie de vivre’ “, a déclaré l’experte des éléphants. Sa famille partage son amour de la France; O’Connell, femme au parcours exceptionnel, conclut : «L’avenir des éléphants est entre nos mains et nous devons décider si nous voulons les sauver ». Une responsabilité qui, comme l’étymologie le rappelle, nécessite une réponse. “Lorsque nous nous sentirons responsables, nous prendrons les mesures nécessaires pour protéger ces animaux incroyables.“
Mathilde Aubinaud – Diplômée d’ASSAS et du CELSA, Mathilde Aubinaud est communicante. Elle a dernièrement publié “Mieux comprendre la Chine” et “La Saga des Audacieux”.