Eléphants ou ivoire, il faut choisir

Feb 13, 2019 | Commentary

By Ambre Sanchez and Adam Cruise

Non, l’ivoire durable n’existe pas. Menacés par la demande considérable des marchés asiatiques et par l’opportunisme des « big 4 », les quatre pays africains dotés des plus importantes populations d’éléphants, ces animaux sont en sursis : au rythme actuel du braconnage, ils pourraient disparaitre en moins de vingt ans.

Ironie de la Nature : à l’origine, les défenses devaient permettre aux éléphants de se protéger. Mais à cause de la valeur marchande que l’Homme leur a attribuée, elles risquent aujourd’hui de mener l’espèce à sa perte. En effet, pour les amateurs de biens de prestige, la vie d’un éléphant n’est utile que pour finir en cendrier, en bracelet ou en tête de lit. Et pour ceux qui cherchent à s’enrichir, le fait que chaque défense puisse se vendre plusieurs milliers de dollars est une opportunité à ne pas manquer, quelques soient les conséquences. La combinaison des deux est fatale : chaque année, entre 20 000 et 30 000 éléphants sont tués pour être dépossédés de leur « or blanc ».  

Une « denrée » difficilement renouvelable

Comme toute ressource précieuse, l’ivoire l’est d’autant plus aux yeux de ceux qui la convoitent qu’elle est difficile à obtenir. Premier problème : il est impossible d’élever des éléphants. Animaux complexes, ces derniers supportent très difficilement la captivité et refusent le plus souvent de se reproduire. « Ils ont besoin de choisir leurs partenaires » explique Keith Lindsay, docteur en biologie pour l’Amboseli Trust for Elephants. En outre, contrairement aux cornes de rhinocéros, qui repoussent après avoir été coupées, les défenses d’éléphants ne peuvent se régénérer.

Animaux à la reproduction lente, surtout pour l’espèce qui vit dans les forêts, les éléphants ne peuvent compenser les pertes liées au braconnage : dans les forêts, les femelles ne commencent à se reproduire que vers l’âge de 20 ans et ne donnent naissance que tous les 5 ou 6 ans. Dans la savane, elles se reproduisent dès 12 ans, avec un petit tous les 3 ou 4 ans. Selon une étude, il faudrait ainsi au moins 90 ans pour que les éléphants de forêt récupèrent des pertes liées au braconnage.

L’impact est catastrophique sur les populations : selon un recensement publié en 2016, l’Afrique a perdu 30% de ses éléphants entre 2007 et 2016. On estime qu’ils seraient moins de 500 000 sur le continent, alors qu’au 19ème siècle on en recensait entre 3 et 5 millions…A ce rythme, ces magnifiques créatures pourraient disparaitre en moins de 20 ans !

Saisies et braconnage en hausse 

Les amateurs d’ivoire et les trafiquants font peu de cas de ces chiffres : certains par ignorance et désir de s’affirmer socialement – selon une enquête réalisée par l’association Ifaw en 2011, 70 % des consommateurs chinois pensent que l’ivoire tombe naturellement et que les défenses repoussent…-, d’autres simplement pour l’appât du gain. Le « système » joue en leur faveur : s’il est officiellement interdit de vendre de l’ivoire au niveau mondial depuis 1989, les saisies font état d’un trafic international en pleine expansion : en 2016, une saisie record de près de 40 tonnes a ainsi été interceptée. En cause : le maintien de marchés nationaux d’ivoire, qui permettent aux braconniers d’écouler le fruit de leurs exactions. La corruption et le manque de contrôles font de ce trafic un véritable fléau, très difficile à endiguer, même dans les pays qui à l’instar de la Chine, des Etats-Unis, de la France ou du Royaume-Uni ont pris des mesures soit pour fermer leurs marchés nationaux, soit pour les restreindre. S’il est positif que d’autres pays tels que Singapour, Hong Kong, Taiwan ou encore l’Australie se disent prêt à suivre le pas dans les années à venir, plusieurs problèmes demeurent : trop peu de contrôles permettent de vérifier que les revendeurs d’ivoire respectent la législation.

L’Union européenne : eldorado des trafiquants

Forte de ses 28 pays membres, l’Union européenne (UE) pèse lourd dans la balance du trafic d’ivoire, malgré le fait que plusieurs Etats aient décidé de prendre des mesures pour fermer ou restreindre leurs marchés nationaux. Les combines ayant lieu au sein de cette zone d’échange donnent le vertige : profitant du fait qu’au sein de l’UE, il est autorisé de vendre de l’ivoire travaillé s’il date d’avant 1947, les trafiquants vont tailler de l’ivoire provenant d’éléphants tués récemment en faisant passer l’objet pour une antiquité d’avant 1947. Ils utiliseront des faux permis et des soit disant connaisseurs, qui prétendront voir à l’œil nu que la pièce en question date d’avant 1947. Une datation au carbone 14 pourrait permettre de retracer l’origine d’une pièce en ivoire mais comme cela n’est pas obligatoire, les vendeurs peuvent raconter ce qu’ils veulent. Selon l’ONG Avaaz, à l’origine d’une étude sur le sujet, les ¾ de l’ivoire vendu en Europe proviennent d’éléphants tués récemment.

Le trafic est d’autant plus facile qu’il n’y a pas besoin de permis pour vendre des objets en ivoire entre pays membres de l’UE. Par ailleurs, les revendeurs, notamment sur internet, font l’objet de très peu de contrôles concernant la provenance de leurs objets : ils ne sont pas contraints d’être référencés (cela dépend de chaque pays de l’UE) et les stocks qu’ils utilisent ne sont pas répertoriés. Il est donc impossible de connaitre l’âge et la provenance de la matière première…Autant de failles qui font de l’UE le premier exportateur mondial d’ivoire travaillé.

Marché légal, marché létal

Certains se plaisent à comparer le commerce de l’ivoire avec celui de la drogue : ceux en faveur d’un commerce légal de l’or blanc affirment que cela permettrait de l’encadrer et d’éviter le marché noir et ses abus. Les principaux défenseurs de cette théorie de « l’ivoire durable » sont les pays dotés des plus importantes populations d’éléphants, soit le Botswana, le Zimbabwe, la Namibie et l’Afrique du sud. Ils affirment maitriser leurs effectifs et veulent en tirer profit, notamment en vendant leurs stocks nationaux, l’ivoire saisi issu du braconnage et des éléphants morts de cause naturelle.

Les experts mettent en garde dans une étude publiée en 2016 contre une telle tentation : tant en 1999 qu’en 2008, les ventes légales ont eu un impact radical sur l’augmentation du braconnage. Pour les spécialistes, le problème est le suivant : toute vente ou marché légal ouvre un boulevard qui permet aux braconniers d’écouler leurs produits. De plus, la demande pour l’ivoire est telle, que cette option ne pourra jamais la satisfaire, ce qui favorise de facto le braconnage…

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